Les Régions s’engagent pour construire une nouvelle étape des politiques publiques de la culture
Les Régions s’engagent pour construire une nouvelle étape des politiques publiques de la culture
Depuis la création du ministère des Affaires culturelles en 1959, la modernisation des politiques culturelles a reposé sur une coopération étroite entre Etat et collectivités, en faveur d’une territorialisation culturelle croissante permise par les lois de décentralisation de 1982 et 1983 puis par la loi de 2004 sur les libertés et responsabilités locales. À partir de là, Régions et collectivités à statut particulier ont été en première ligne pour aider à structurer, développer et soutenir un véritable maillage culturel des territoires, en collaboration avec les départements, communes, puis intercommunalités. Tous ces niveaux de collectivités, qui ont souhaité conserver une compétence culture partagée à l’occasion de la loi NOTRe, en sont devenus aujourd’hui les principaux financeurs. Ensemble, elles ont, non seulement adopté, mais aussi largement dépassé le modèle initial proposé par l’État.
L'intervention des Régions s'étend aujourd’hui à l'ensemble des filières artistiques et culturelles, couvrant toutes leurs composantes : spectacle vivant, musiques, patrimoines, architecture et artisanat d’art, cinéma et audiovisuel, livre et lecture, arts plastiques, visuels et design, culture scientifique, industrielle et technique, ainsi que langues et cultures régionales. Elles encouragent et soutiennent ainsi la création, la diffusion des œuvres, l'éducation artistique et culturelle, les enseignements artistiques, la formation professionnelle, tout en favorisant le rayonnement et le développement économique de ces secteurs.
Au fil du temps, les Régions ont su aussi inventer les outils (schémas, règlements d'intervention, contractualisations) permettant de structurer l’ensemble de ces filières, soutenant les projets des acteurs culturels publics comme privés, gérant parfois directement des lieux, contractualisant avec les grands organismes d’État, encourageant les coopérations internationales.
Revendiquant la culture comme essentielle à l’épanouissement de toutes les personnes, à la démocratie et au vivre-ensemble, elles ont continué à soutenir le secteur lors de la crise de la COVID et même plus, pour que le fragile chaînage artistique et culturel du pays soit, tout comme les nombreux emplois, coûte que coûte préservé.
Cet effort substantiel n’aura pas permis d’enrayer le mouvement, déjà perceptible avant la crise sanitaire, de fragilisation des modèles économiques et de financement de la culture. D’une part, le désengagement progressif de l’État ces dernières décennies s’est cumulé à son endettement devenu abyssal, à ses moindres dotations aux collectivités et à des réformes les privant de tout levier fiscal. D’autre part, l’État a fait preuve de son incapacité, voire sa réticence, à encourager une réelle décentralisation. Tout cela nous mène aujourd’hui dans une forme d’impasse, au moment où nous subissons par ailleurs une succession de crises économique, sociale démocratique et climatique, auxquelles s’ajoutent le défi des transitions écologique et numérique.
Sans marge de manœuvre, avec l’obligation de voter des budgets à l’équilibre, les collectivités se retrouvent dans l’impossibilité d’aider la grande majorité des acteurs culturels, eux-mêmes pris dans un « effet ciseau » délétère. A terme et sans intervention, tout ce qui a été patiemment construit par les acteurs culturels et les pouvoirs publics au fil des années, risque de se désintégrer massivement.
D’ores et déjà, compte-tenu de l’effort de plus de 5 milliards d’euros demandé par l’État aux collectivités locales, les Régions se voient obligées d’opérer des choix douloureux dans leurs budgets. D’autres collectivités, avec qui les Régions partagent la compétence culturelle, sont dans une situation financière critique et ne pourront plus contribuer à cet effort public partagé. Dans ces circonstances, une politique culturelle est-elle encore envisageable ? Il y a plus qu’urgence à se mobiliser et à engager collectivement une large réflexion sur le devenir de notre modèle culturel français, à esquisser des pistes d’action et d’expérimentation pour faire évoluer nos modes de fonctionnement et d’intervention.
Les modèles centralisés et normatifs du ministère sont-ils par exemple toujours de mise ? Qu’en pensent aujourd’hui celles et ceux qui font vivre la culture, les artistes et techniciens ? Qu’en pensent notamment les personnes des territoires ruraux, périurbains et ultramarins, où les établissements culturels sont peu présents, à l’heure où justement « les droits culturels » ont été inscrits dans les lois NOTRe puis LCAP sous l’impulsion du Sénat, chambre du parlement qui représente précisément les territoires ? La question mérite d’être posée.
Alors que le monde change, les Régions et collectivités à statut particulier constatent et regrettent en réalité que l’absence de continuité de l’action du ministère de la culture (aucun ministre n’est resté plus de 17 mois en moyenne ces dix dernières années), n’ait permis que les questions de fond soient réellement posées et qu’émerge une vision réformatrice pour le moyen et le long terme, travaillée avec les collectivités territoriales. Il y a eu des « plans » aux effets parfois bienvenus, mais limités dans le temps comme dans le nombre de leurs bénéficiaires, et qui ne se sont jamais attaqués structurellement aux vrais sujets. L’exemple le plus parlant : celui du Pass Culture auquel l’État consacre plus de 210,5 millions d’euros en 2024. C’est une politique de la demande qui ne s’est pas souciée de savoir si demain l’offre, donc les structures culturelles, auront toujours les moyens d’exister. Autre exemple, la politique inchangée des labels dont les cahiers des charges n’ont pas bougé ou presque, alors que depuis la loi LCAP, les marges de manœuvre artistiques des structures se sont considérablement amoindries et que, par ailleurs, l’exigence de territorialisation a été accrue avec l’application des droits culturels. On pourrait également évoquer le sujet de la multiplication des appels à projets dont le temps administratif est très peu pris en compte et dont l’impact sur l’essence des projets est souvent majeur.
Les Régions observent aussi que, de leur côté, les acteurs culturels, confrontés aux difficultés pour boucler leurs budgets grevés par l’augmentation des charges et l’inflation, commencent à mesurer que les solutions ne pourront plus, comme par le passé, toujours reposer sur l’accroissement des financements publics et qu’il convient donc de repenser en profondeur leurs projets et modèles économiques.
Ne voulant nullement être dans le renoncement ou le fatalisme, les Régions souhaitent dès lors, à leur échelle, se saisir publiquement et nationalement du sujet. L’objectif est de pouvoir être force de proposition et tracer les contours d'une nouvelle étape des politiques culturelles, à même de répondre aux enjeux et à la complexité des défis qui nous attendent.
Pour les élus qui œuvrent ensemble au sein de la commission « Culture » de Régions de France, il ne s’agit nullement de réduire le niveau d’ambition, ni de renoncer au rôle éminent que doit continuer à jouer l’artiste au cœur de la société. Plus que jamais d’ailleurs, face aux nouvelles technologies notamment à l’intelligence artificielle, il faut véritablement défendre et reconnaître l’acte de création. Il s’agit, ensemble et solidaires, élues et acteurs de la culture, de relever les défis d’ampleur qui sont devant nous, de sauver ce dont nous sommes si fiers et appelons l’exception culturelle française
Ainsi, entre novembre 2024 et septembre 2025, la commission « Culture » de Régions de France mènera toute une série d’auditions d’acteurs du champ artistique, culturel ou patrimonial, choisis pour leur représentativité, leur expertise et leur capacité de projection.
La restitution de ces travaux, et de ceux qui auront été menés par les groupes de travail de la commission « Culture » tout au long de cette année, sera présentée lors du prochain Congrès des Régions, à l’automne 2025.
Régions de France est l'association qui représente les 18 Régions françaises métropolitaines et d’Outre-mer auprès des pouvoirs publics et des acteurs socio-économiques, avec pour mission de promouvoir leurs intérêts et de contribuer aux à l’élaboration et au pilotage des grandes politiques publiques. La Commission Culture de Régions de France, qui réunit l’ensemble des Vice-Président(e)s de Régions en charge de la Culture définit des positions communes des Régions sur les sujets en lien avec la Culture et mène des travaux au sein de groupes thématiques avec l’appui des Directeurs des Affaires culturelles.